Enrôlement
L’Enrôlement un processus historique survenu avec la massification de la politique et la suprématie bourgeoise (quand capitalisme et libéralisme donnèrent aux riches des moyens infinis d’oppression, sans encore donner aux prolétaires les outils de leur libération), lors duquel la bourgeoisie présenta les tâches avilissantes pour lesquelles elle avait besoin de chair humaine, comme des épopées permettant à l’homme d’affirmer sa virilité, à la fois en tant qu’individu et en tant que composante d’une réalité transcendante (la famille, la patrie, la nation). Le féminisme occidentaliste considère que l’enrôlement débute en Occident avec la Révolution industrielle et culmine dans les années 1950. Enrôlement peut s’écrire avec ou sans majuscule, selon que l’on désigne la période historique ou le mécanisme social.
Description
- Exaltation de l’héroïsme masculin lorsque celui-ci est au service d’une institution ou de valeurs valorisées par le pouvoir bourgeois : travail de larbin, famille monogame chrétienne phallocentrée, patrie, nation, christianisme.
- Valorisation des femmes uniquement dans la mesure où elles se conforment à un modèle d’obéissance à l’ordre homotropique et contribuent à la gloire du phallus. La figure principale est la mère au foyer soumise, totalement dépourvue de vie intérieure et de volonté propre, telle que décrite dans le livre The Stepford Wives ou dans la propagande de Vichy. La femme travailleuse et débrouillarde n’est valorisée que lorsqu’il s’agit de soutenir l’effort de guerre.
- Hypercompétition masculine homotropique, dévalorisation des hommes refusant cette compétition. L’homme rêveur ou celui qui choisit de travailler moins pour se consacrer davantage à sa vie privée s’attirent le mépris social. Les démonstrations publiques de machisme sont valorisées et l’humiliation des femmes est présentée comme un signe de vigueur virile.
- Réductionnisme sexuel. Les identités masculines et féminines s’appauvrissent considérablement. La femme est exclusivement associée à la soumission et à la faiblesse. L’homme est exclusivement associé à la dureté, à la force et au travail. Toute fantaisie esthétique masculine est perçue comme une déviance innacceptable : cheveux longs, maquillage, ornements, bijoux, tenues colorées, jadis partie intégrantes de la toilette masculine, ne sont plus tolérés. Certaines couleurs comme le rose et le bleu, auparavant mixtes, sont assignées à des genres spécifiques.
- Ordre phallocratique : tout ce qui advient de bon dans la société provient du triomphe des valeurs viriles, et tout ce qui advient de mauvais est associé à la féminité. Ce trait n’est pas soécifique à l’Enrôlement mais il en est une composante importante.
- Trompe l’oeil d’individualisme : l’individu est exalté uniquement dans la mesure où il sert les institutions et valeurs bourgeoises et joue le jeu de la compétition homotropique.
- Stakhanovisme : le surinvestissement au travail est présenté comme un acte héroïque et un devoir citoyen ; l’auto-destruction physique et mentale induite par ce stakhanovisme est considérée comme un non-problème, voire comme un endurcissement nécessaire. Les violences conjugales et l’alcoolisme violent sont perçues tout au plus comme un désagrément que les femmes assignées au travail domestique se doivent d’éponger en silence.
- Cascade doloriste : les individus sont conditionnés à souffrir dans le labeur et l’hypercompétition, et baignent dans la croyance que toute souffrance endurcit. Ne pouvant envisager que les souffrances qu’ils ont endurées aient pu être inutiles, les individus sont renforcés dans la croyance que toute souffrance est utile et qu’il est de leur devoir de faire souffrir leurs proches et leurs subalternes afin de les endurcir. Le bizutage est une forme célèbre de cascade doloriste. Il s’agit de faire souffrir les novices et de les humilier afin de s’assurer que ceux-ci reproduisent les schémas doloristes et les fassent à nouveau subir à la génération suivante.
Enrôlement et misogynie
L’Enrôlement cultive la misogynie car les femmes y jouent le rôle de gratification masculine, de variable d’ajustement et de défouloir. L’enrôlement favorise le réductionnisme sexuel et la dévalorisation de tout ce qui est féminin. L’enrôlement appauvrit l’identité féminine en faisant de la vulnérabilité la quintessence de la féminité. Le féminisme fait exploser l’enrôlement en refusant de perpétuer ce système d’hyper-compétition intramasculine et l’échelle de valeurs de la société homotropique. Le féminisme, en développant le féminin politique, en militant pour faire de la sphère privée, de l’intime et de l’informel des sujets politiques (violences conjugales, rapports de pouvoir au sein du foyer, violences médicales et obstétricales, contraception et avortement, harcèlement sexuel), met à mal l’ordre phallocratique qui considère toute préoccupation non phallocentrée comme invalide et indigne de représentation politique.
Rejet de l’enrôlement
Le point culminant de l’enrôlement en Occident se situe dans l’après seconde guerre mondiale : il fallait refouler les traumatismes de guerre, restaurer un ego viril fortement mis à mal, et cacher le rôle prépondérant de l’homotropie et du conditionnement androtoxique dans le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale. Grâce à la croissance économique stimulée par la reconstruction, il fut relativement aisé de « vendre » l’enrôlement aux hommes comme une stratégie gagnante leur permettant d’avoir une vie meilleure.
Jusqu’à la fin des années 1950, les formes de rejet masculin de l’enrôlement se limitent à des contre-cultures qui consistent à exalter une virilité violente qui met sa force et sa loyauté au service d’un petit groupe en rupture sociale plutôt qu’au service des institutions bourgeoises. On peut citer les blousons noirs et les bikers.
A partir des années 1960, le rejet de l’enrôlement se diversifie et se structure politiquement. Le rejet de la guerre du Vietnam et la montée de l’anticolonialisme ne sont pas seulement des thèmes politiques poussés par la gauche, mais l’expression d’un refus croissant de l’enrôlement chez les jeunes hommes. La contre-culture hippie exprime une volonté de casser les codes de la masculinité définis par la société homotropique (cheveux longs, chemises à fleurs, barbe en bataille, khôl, bijoux ostensibles) et de s’échapper de la culture occidentale dominante (fascination pour les cultures étrangères, vogue du yoga, voyages). La révolution sexuelle et le renouveau féministe des années 1960-1970 sont également des formes de lutte politique contre l’enrôlement : le nouveau féminisme n’entend plus seulement conquérir les droits civiques pour les femmes, mais redéfinir la féminité et la masculinité et casser les mécanismes sociaux d’enrôlement machiste. Il est permis de supposer que le soutien massif aux revendications féministes touchant à la liberté sexuelle, malgré le machisme ambiant y compris au sein de la jeunesse, s’explique en large part par un désir masculin d’échapper à l’enrôlement et de ne plus subir la pression des obligations masculines traditionnelles. Les revendications féministes de libération de la sexualité féminine et masculine telles que la légalisation de la contraception et de l’avortement ont obtenu un soutien plus large, plus enthousiaste et plus rapide de la part des hommes que les revendications féministes limitant la suprématie sexuelle des hommes (pénalisation du harcèlement sexuel, répression des violences sexuelles et conjugales).
Survivances et mutations de l’enrôlement
Bien que l’enrôlement ait été fortement contesté et mis à mal au cours de ces cinquante dernières années, il existe toujours sous des formes résiduelles et sous des formes mutantes.
- L’antiféminisme doloriste est une forme de survivance de la culture de l’enrôlement. Ainsi, lorsque le militantisme contre les violences obsétricales a commencé à devenir visible dans les médias, de nombreux médecins se sont indignés en mettant en avant les souffrances qu’eux-mêmes endurent au travail : horaires lourds, fatigue, stress chronique, vie personnelle sacrifiée. L’idée sous-jacente est que si eux, médecins, souffrent, c’est que cette souffrance est utile, et qu’il serait par conséquent nécessaire que les femmes parturientes acceptent elles aussi de souffrir, pour le bien de tous. La cascade doloriste est encore perçue comme une nécessité sociale et professionnelle, et la dénoncer est encore subversif en 2021. L’Enrôlement explique pourquoi il y a encore autant d’antiféminisme chez les hommes alors que les hommes y gagnent autant. L’antiféminisme, c’est le réflexe de se mettre en colère quand on nous supprime la carotte au lieu de se révolter contre qui nous donne des coups de bâton. C’est la rage à l’idée d’avoir fait des sacrifices pour rien, c’est le dolorisme frustré.
- La culture corporate est une forme mutante d’enrôlement qui présente l’hypercompétition professionnelle et l’absence de vie personnelle comme une aventure individuelle exaltante. La culture corporate a également pour fonction d’enrôler les femmes par des moyens détournés, afin de contrer le mouvement de désertion favorisé par de nombreux courants féministes.