L’escalier d’exigence érudite ad nauseam

L’escalier d’exigence érudite ad nauseam ou le pseudologisme de l’hydre, est un pseudologisme basé sur une croissance graduelle voire exponentielle de l’exigence en matière d’argumentation et de sources, faite à un locuteur ciblé par un adversaire ou une personne se présentant comme sceptique.

Le pseudologisme de l’hydre tire son nom de l’Hydre de Lerne qui remplaçait chacune de ses têtes coupées par Héraklès, en faisant repousser deux nouvelles têtes par le cou tranché, allégorie des problèmes qui semblent se renforcer lorsqu’on les affronte.

Le but de la manœuvre est d’augmenter ses exigences au fur et à mesure que la cible répond avec succès aux objections et aux contradictions. En bombardant de questions avec une exigence croissante, l’attaquant botte en touche et se met dans la position avantageuse de l’examinateur.

La cible, clouée sur place comme par un tir de suppression, se voit dans l’impossibilité de contre-attaquer sans être pointée du doigt comme faisant défaut au débat, et sans être accusée de retourner la charge de la preuve contre son adversaire. En mettant la cible sur la défensive face à des exigences et une mauvaise foi grandissantes, l’attaquant induit chez elle un état d’esprit d’assiégé, l’épuise et finit par la démoraliser jusqu’à ce qu’elle déclare forfait (argumentum ad nauseam).

L’idée est de donner à la cible le sentiment qu’elle ne sera pas libérée de l’injonction à se justifier tant qu’elle n’abandonnera pas sa thèse et ne fera pas son autocritique, de sorte qu’elle se sente dans un étau qu’on resserre petit à petit sur elle. Chaque bonne réponse de la cible n’apportera pas à la cible la satisfaction qu’elle devrait, puisque l’adversaire va renforcer son inquisition et le niveau d’érudition qu’il exige d’elle. Les circuits de la récompense sont inversés par cet ancrage émotionnel : plus la cible parvient au succès du point de vue logique, plus elle est punie sur le plan émotionnel.

C’est le pseudologisme le plus employé par des personnes qui ne seront jamais convaincues mais veulent uniquement débattre dans le but de bloquer, de démoraliser et de pousser à l’erreur. Les attaquants qui emploient l’escalier d’exigence érudite ne se font généralement pas passer pour des ennemis mais juste pour des curieux, soucieux d’en savoir plus, ou pouvant bientôt être convaincu. Ce pseudologisme de guerre psychologique permet de mettre dans la tête de la cible l’idée qu’il va falloir qu’elle développe le niveau d’un érudit dans de nombreux domaines avant d’être en mesure de présenter sa thèse à de simples intéressés. Autrement dit, il engendre l’impression chez la cible que sa thèse laisse la plupart des gens hautement dubitatifs et ne peut être défendue que par des experts, ce qui permet de limiter, par démoralisation, la viralité d’une thèse. Ainsi, même la thèse la plus simple à défendre sera désertée par tous ceux qui n’ont ni l’érudition, ni le courage, ni la combativité, ni le temps ni l’état d’esprit nécessaires pour subir ces examens.

Cette exigence intellectuelle excessive se caractérise par son asymétrie : l’attaquant demande un niveau qui n’a plus rien à voir avec le niveau de la thèse que lui défend. Ainsi peut s’apercevoir la mauvaise foi du pseudologiste : il applique une méthode impitoyable à la thèse adverse, mais il n’a pas l’ombre de cette rigueur quand il s’agit de défendre sa propre thèse. Ce n’est pas juste un biais militant, c’est la preuve que les exigences qu’il brandit sont artificielles puisqu’il ne les a jamais eues quand il s’est agi de développer sa thèse.

En cas d’erreur de la cible, ou de carence argumentative, l’attaquant ne parlera que de ce détail, en occultant toutes les très bonnes réponses qui lui ont été apportées, même quand ces réponses invalident l’interprétation abusive et la caricature qu’il en fera. Le but de l’escalier d’exigence est l’humiliation intellectuelle privée ou publique de la cible.

L’escalier d’exigence érudite ad nauseam se combat par la contre-attaque de la thèse adverse, souvent cachée mais facile à déceler, et qui sera souvent qualifiée d’« homme de paille » par le pseudologisme désireux de ne pas défendre ses propres idées.

Une façon très simple de ne jamais se laisser entraîner dans un escalier d’exigence érudite consiste à considérer que toute personne qui pose trop de questions n’a pas une démarche de curiosité mais une démarche hostile. Les parades : « Google est ton ami », « Lis le manifeste de l’occidentalisme et les corpus, toutes les réponses sont dedans » ou « Formule tes objections dans une lettre ouverte ou dans une vidéo publique, on verra bien si elles en valent la peine ».

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